En octobre dernier, Emmanuel Macron annonçait en grande pompe un nouveau plan d’aides publiques au secteur privé, baptisé France 2030, pour un montant de 34 milliards d’euros. Arbitraire du pouvoir exécutif, pari sur des promesses technologiques, entre-soi avec les industriels… France 2030 porte à son comble les orientations affirmées depuis le début du quinquennat et plus encore dans le contexte de la crise sanitaire.
À l’heure même où le CAC40 annonce des bénéfices record, à l’image des 15 milliards d’euros engrangés par Total, c’est un nouveau chèque en blanc qui profitera directement ou indirectement aux grandes entreprises. Nouvelle publication dans le cadre de notre initiative Allô Bercy.
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34 milliards d’euros sans conditions.
À l’image des aides publiques massives débloquées depuis le début de la pandémie, le plan France 2030 n’est assorti d’aucune conditionnalité sociale, environnementale ou fiscale pour les bénéficiaires. Il contient même encore moins de garde-fous que les plans précédents. C’est le signe que les flux d’argent public à destination des grandes entreprises ne sont pas prêts de se tarir, alors même que le CAC40 affiche des records historiques de profits.
Le fait du prince.
Le plan France 2030 a été mis en place dans une grande opacité, sans clarté sur sa gouvernance. Il a été validé dans le cadre d’un amendement de dernière minute à la loi de finances 2022, avec un débat parlementaire minimal. Les quelques informations publiées début février sur son pilotage confirment que les fonds seront gérés dans le cadre d’un entre-soi entre autorités publiques et industriels, sans représentation de la société civile.
Promesses technologiques.
Comme nombre d’aides publiques mises en place suite à la pandémie, mais de manière encore plus radicale, le plan France 2030 privilégie des solutions technologiques contestables et/ou chimériques comme le nucléaire, l’hydrogène, ou l’avion « zéro carbone ». Le secteur numérique devrait bénéficier d’une grande partie des « investissements transversaux » annoncés.
« Usual suspects ».
Le plan France 2030 est présenté comme ciblant surtout les start-ups et les acteurs émergents. En réalité, une bonne partie des destinataires potentiels des soutiens sont soit de grandes entreprises, soit des start-ups liées à ces dernières. Une partie de ces start-ups a déjà bénéficié d’aides publiques dans le cadre de plans d’investissement précédents. Au final, les groupes du CAC40 devraient être encore une fois parmi les grands bénéficiaires – directement ou indirectement – du plan France 2030.
Recyclage d’investissements déjà annoncés. Une partie significative des investissements annoncés dans le plan France 2030 – pour autant que l’on puisse s’y retrouver – semblent recycler des annonces déjà faites (hydrogène, santé, agriculture), notamment dans le cadre du plan de relance.
https://multinationales.org/IMG/pdf/allobercynote2.pdf
Je ne souligne que certains éléments de cette petite brochure de 10 pages.
De l’argent public pour l’assistanat aux entreprises sans condition ; soit un nouveau chèque en blanc de 34 milliards d’euros pour les industriels…
Des solutions technologiques contestables et/ou chimériques privilégiées comme le nucléaire, l’hydrogène, ou l’avion « zéro carbone »…
Le plan d’investissement « France 2030 » parachève la volonté gouvernementale d’étendre et de pérenniser les aides publiques aux entreprises. Soit un financement avec nos impôts de ceux (entreprises et actionnaires) qui pratiquent allégrement l’« évasion fiscale » où la fraude fiscale (comme certain·es membres du gouvernements)…
Le recyclage en partie des investissements déjà annoncés auparavant et cette fois sans semblant de règles et de conditionnalités. « Les aides aux entreprises de France 2030 ne sont assorties d’aucune véritable condition d’ordre financier, fiscal, social ou environnemental ». L’utilisation des fonds est laissé à l’entière discrétion des directions d’entreprises. Dans le même temps le gouvernement veut conditionner le versement du RSA (et il n’y a en pas pour 34 milliards !). Pas de contrôle pour l’assistanat public aux entreprises et contrôle renforcé pour les « classes dangereuses »…
La volonté d’associer des grands groupes du CAC40 au comité de sélection. Des procédures non démocratiques ou la démocratie censitaire…
« La radicalisation d’une orientation pro-technologie visible dès le début du quinquennat en matière de numérique, mais qui s’est considérablement renforcée en 2020 durant la crise sanitaire. » La foi inébranlable dans les promesses technologiques brandies par les industriels. Les prêtres – rémunérés par l’Etat – d’une religion du privé, des fantasmes technologiques et de la fumeuse idéologie du ruissellement… La continuité sous des habits illibéraux plutôt que des transformations structurelles pour assurer la transition énergétique et la satisfaction des besoins du plus grand nombre…
Les auteurs et autrices donnent un exemple en matière de santé : « l’accent porte non pas sur le financement des hôpitaux publics, des métiers du soin ou l’accessibilité des médicaments et équipements essentiels, mais sur l’innovation pharmaceutique (avec l’émergence de 20 biomédicaments d’ici 2030) et la santé numérique ».
Il s’agit bien d’une pensée religieuse qui présente l’innovation industrielle future « comme solution magique à tous les problèmes écologiques, économiques et politiques ».
Un plan qui oublie un fois de plus la majorité de la population : les femmes. « Pendant la pandémie, les femmes se sont souvent retrouvées en « première ligne », tant au travail qu’au sein des familles. Sur-représentées dans de nombreux secteurs qui ont permis de faire face à la pandémie (87% d’infirmières ; 91% d’aides-soignantes ; 97% d’aides à domicile et aides ménagères ; 73% d’agentes d’entretien ; 76% de caissières et vendeuses ; 71% d’enseignantes), les femmes ont été les grandes oubliées des plans d’urgence et de relance. Le plan de relance ne comprend aucune mesure sur l’égalité et la mixité (alors qu’il comporte des volets sur la cohésion), et il finance des secteurs économiques principalement masculins (automobile, aéronautique, numérique) »…
Sans oublier ce que l’on nomme pudiquement les conflits d’intérêts.
De l’argent qui ira probablement principalement dans les poches des actionnaires des grands groupes (les entreprises du CAC ont versé plus de 76 milliards de dividendes en deux ans, et ont battu en 2021 le record historique de rachats de ses propres actions, avec 25 milliards d’euros).
« Sous des dehors consensuels, cependant, ces discours cachent une radicalisation de sa politique de soutien inconditionnel au secteur privé. Il ne s’agit en aucun cas d’investir dans les secteurs clés pour notre avenir tels que les métiers du soin et de l’éducation, ou encore les activités qui permettent, au plus près des territoires, de satisfaire les besoins des populations (transports publics, alimentation, etc). Les services publics et les précaires sont à nouveau, comme pour le plan de relance, les grands oubliés de son nouveau plan d’investissement. Les fonds seront distribués via des appels à projets qui risquent de créer des effets d’aubaine ou de bénéficier surtout à des « insiders » rompus à ce type d’exercice. Sous couvert d’« investissement », c’est une nouvelle étape dans la mise à disposition des deniers publics au bénéfice des grandes entreprises. »
Une brochure à diffuser très largement
https://multinationales.org/IMG/pdf/allobercynote2.pdf
Didier Epsztajn